ÉDITO. Le conflit libyen rappelle que la France du XXIe siècle perd pied au niveau international lorsqu’elle fait cavalier seul.
La politique de la France en Libye est dans l’impasse. Sa crédibilité diplomatique est entamée ; le seigneur de la guerre local sur lequel elle a misé est sur la touche ; ses intérêts sont affectés. Neuf ans après l’intervention militaire occidentale qui contribua à la chute de Muammar Kadhafi, le bilan est sombre. Le théâtre libyen montre, une fois de plus, combien la France pèse peu dans les affaires du monde quand elle néglige de mobiliser l’Europe derrière elle. Il est humiliant pour les autorités françaises de n’avoir reçu le soutien que de huit alliés de l’Otan sur trente lorsqu’elles ont porté à Bruxelles leur différend avec la Turquie sur le dossier libyen, après un incident naval en Méditerranée. Le verdict est cruel, surtout si l’on prend en compte le peu de crédit accordé au président Recep Tayyip Erdogan en Europe ces temps-ci. La ligne française ne convainc pas nos partenaires.
L’échec au printemps de l’offensive sur Tripoli lancée par le maréchal Haftar, un ancien militaire kadhafiste, a montré la vacuité des tentatives de régler le conflit par les armes, dans un pays livré aux milices, aux tribus et aux trafics en tous genres. Les deux scénarios désormais les plus vraisemblables sont tous deux contraires aux intérêts européens : celui d’un conflit gelé, consacrant la partition entre l’Est (la Cyrénaïque) sous la protection d’Erdogan et l’Ouest (la Tripolitaine) aux mains d’Haftar et de ses sponsors russes et arabes, ou celui d’une aggravation des combats et d’une intensification des ingérences étrangères. La spirale de l’échec vient de loin
Le tableau géopolitique d’ensemble est catastrophique. En ayant réussi à prendre pied en Afrique du Nord à la faveur du chaos libyen, Ankara et Moscou se sont octroyé de nouveaux moyens de faire chanter l’Europe sur les questions d’immigration illégale, d’approvisionnement en hydrocarbures ou de lutte antidjihadistes. La Turquie et la Russie sont désormais en bonne position pour installer des bases navales ou militaires sur la frontière sud de l’Union européenne, accroître leur influence au Maghreb et avoir leur mot à dire au Sahel. La spirale de l’échec vient de loin. Depuis 2011, les prédécesseurs d’Emmanuel Macron portent leur part de responsabilité. Néanmoins, trois erreurs persistantes brouillent la perception de la politique suivie par la France et nourrissent les préventions en Europe à son égard. Premièrement, l’ambiguïté de son positionnement. Depuis qu’on a appris fortuitement en 2016 que des forces spéciales françaises avaient été engagées secrètement aux côtés du maréchal Haftar, Paris n’a pas effacé l’impression de partialité qui lui colle à la peau dans ce conflit. En 2019 encore, des missiles antichars de l’armée française ont été découverts dans une base d’Haftar conquise par les forces de Tripoli. Aujourd’hui, les protestations françaises de neutralité sont accueillies avec scepticisme dans les capitales européennes.
Une marque de frivolité
Deuxièmement, le double langage. En condamnant dans les termes les plus sévères les violations par Ankara de l’embargo onusien sur les livraisons d’armes aux protagonistes, mais en passant sous silence les transgressions tout aussi graves des Émirats arabes unis ou de la Russie, la France attise les suspicions de ses alliés. Troisièmement, les provocations inconsidérées. En pointant, dans les agissements de la Turquie en Libye, une nouvelle preuve de ce qu’il appelle la « mort cérébrale » de l’Otan, Emmanuel Macron ne rend pas service à la cohésion de l’Europe. La plupart des États membres considèrent que l’Alliance atlantique est une composante vitale de leur sécurité. Ils voient dans le vocabulaire choisi par le président de la République, au mieux, une marque de frivolité à leur égard. La France, qui dit craindre une « syrianisation » de la Libye, ne reprendra pas un contrôle minimal de la situation tant qu’elle n’aura pas reconstruit l’unité de l’Union européenne et poussé celle-ci à l’action, pour imposer un cessez-le-feu durable, pour faire respecter l’embargo sur les armes et pour favoriser un règlement politique. Le moment est favorable depuis que les États-Unis, inquiets de l’irruption russe en Afrique du Nord, s’intéressent à nouveau au dossier. Pour y parvenir, la France devra choisir un cours en phase avec ses principaux partenaires, notamment l’Italie et l’Allemagne. La « souveraineté européenne » tant vantée par Emmanuel Macron est à ce prix.
Publié le 14/07/2020 à 15:00 | Le Point.fr
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