Absentéisme, mauvaise gouvernance, crises des partis politiques…
1A l’approche des élections 2021, la question de la désaffection des Marocains à l’égard de la politique et des urnes est reposée. De l’importance croissante de l’absentéisme et la déception par rapport aux faibles mécanismes de reddition des comptes résulte la défiance à l’égard du jeu politique.
Dans six mois, le Maroc a rendez- vous avec les élections législatives, les troisièmes du genre depuis l’adoption de la Constitution de 2011, perçue comme une ère nouvelle de la bonne gouvernance. A quelques mois seulement de ces échéances, l’avenir du Maroc sera dessiné dans un contexte national et régional marqué par les incertitudes.
Ce rendez-vous électoral sera ou devra être celui de la rupture. L’une des facettes de cette rupture est de remonter la pente par rapport à un taux d’absentéisme faible qui a marqué les deux précédentes élections de 2011 et de 2016. D’ailleurs, cette question a retenu toute l’attention des intervenants à un débat en ligne organisé le 6 mars 2021 par la fondation TIZI (Tarik Ibnou Zyad), présidé par l’intellectuel et ancien porte-parole du Palais royal, Hassan Aourid.
Le rendez-vous de la rupture
Le constat relevé lors de cet échange entre experts et spécialistes était unanime: il existe toujours une grande désaffection des Marocains vis-à-vis de la chose partisane et des urnes et une défiance justifiée par la faiblesse des acteurs politiques et leur manque de courage ou d’audace dans la prise des décisions stratégiques, voire même des décisions judicieuses pour le pays.
Ce qui inquiète, par-dessus tout, les experts, c’est de revivre en 2021 le même scénario de 2011 et de 2016. Les élections législatives du 25 novembre 2011 -intervenues à la suite du référendum constitutionnel le 1er juillet de la même année et qui a débouché sur la nouvelle Constitution, dont l’article 47 prévoit que le Roi choisisse le Chef du gouvernement au sein du parti arrivé premier aux suffrages- ont connu un taux de participation de 45,4%. Ce taux est inférieur à celui des élections locales de 2009 (52,4%).
Pire, il est le deuxième taux de participation le plus faible aux élections législatives depuis 1984 (67% en 1984, 62% en 1993, 58% en 1997, 50% en 2002), après celui de 2007 (37%). Le résultat de ces élections avait montré que l’abstention a connu des fluctuations notoires entre les provinces. Ainsi, le plus haut taux de participation (Tarfaya) est de 78,2% alors que le plus faible (Safi) est de 33,3% soit un écart de 44,9 points.
Aux élections législatives du 7 octobre 2016, sur plus de 15 millions d’inscrits, seuls 43% se sont rendus aux urnes, ce qui était révélateur d’un intérêt des Marocains pour ces élections qui diminue encore et encore. Perception qui a été confirmée par l’enquête réalisée par le Haut-commissariat au plan (HCP) en septembre 2018. Il en ressort que seulement 5% des jeunes Marocains ont confiance dans l’action et les partis politiques, tandis que 70% d’entre eux se désintéressent complètement de ce champ.
Un bilan déficient
L’abstention est devenue ainsi une caractéristique indélébile de nos élections. Au lieu de fournir des efforts considérables pour restaurer le capital confiance, les partis politiques ont brillé par leur paresse et leur réaction molle face à des dossiers socio-économiques, notamment depuis le début de la crise sanitaire liée à la pandémie du Covid-19 et la crise économique qui en a découlé.
Le Parti de la justice et du développement, qui a marqué les esprits et gagné les coeurs dès les élections de 2011, a consolidé cette perception populaire et cette réalité politique. Son bilan déficient, à bien des égards, contribue aujourd’hui à la désaffection des Marocains, plus particulièrement chez les jeunes, vis-à-vis des élections. Même s’il n’en assume pas seul la responsabilité.
Car c’est toute la classe politique qui a démontré son incapacité à assumer ses responsabilités, à encadrer et mobiliser les citoyens, à unir autour d’un projet ses bases militantes, à freiner ses dissensions internes, et à soutenir une classe moyenne qui se paupérise à cause d’un endettement étouffant et une classe marginalisée vivant dans et de l’informel notamment durant les premiers mois de la pandémie.
Les partis confinés
À la légitimité dont se parent les différents acteurs politiques s’opposent une délégitimation populaire et une décrédibilisation de la sphère politique marquée par une crise au sein de la majorité gouvernementale et un piètre rôle assumé par les partis de l’opposition.
La désaffection politique, notamment chez les jeunes, s’est renforcée avec les défaillances accumulées par les deux gouvernements menés par le PJD (Abdelilah Benkirane puis Saâd Eddine El Othmani). Ainsi, depuis l’apparition de la pandémie au Maroc, la piètre prestation du gouvernement El Othmani, ses failles de communication et les faibles réalisations autant sur le plan économique que social, sans compter l’absence de cohésion entre les composantes de la majorité, ont cristallisé la démission des acteurs de la sphère politique.
Nos partis politiques, dont ceux de l’opposition, étaient comme confinés jusqu’à ce que le projet de loi 22.20, relatif à l’utilisation des réseaux sociaux, fuite. Ils se sont alors réveillés pour se manifester mais maladroitement. Au sein même du gouvernement, le ministre de la Justice usfpéiste Mohamed Ben Abdelkader signe et persiste alors que les dispositions de ce texte de loi allaient à l’encontre des valeurs et principes défendus par son parti. Le ministre pjdiste des Droits de l’homme Ramid avait fait une «plaidoirie» pour dénoncer certaines dispositions dudit texte de loi.
Ensuite, le ministre pjdiste Mohamed Amekraz, en charge du département du Travail, s’était dit contre ce projet. Le comble, le Premier secrétaire de l’USFP, Driss Lachgar, se désolidarise avec «son ministre» sous prétexte que le travail du gouvernement ne reflète pas la position du parti par rapport à ce projet de loi.
Le contrat de confiance rompu
Il sera d’ailleurs démenti par Hassan Nejmi, membre du bureau politique de l’USFP, qui dans un post sur sa page Facebook le dimanche 10 mai 2020, a déclaré que 11 membres du bureau politique, dont luimême, ont écrit à Lachgar pour tenir une réunion au sujet de ce projet de loi mais que celui-ci s’est obstiné à ne pas la tenir. Pour le même projet de loi, chaque parti, qu’il soit de la majorité ou de l’opposition évacuait ses responsabilités. Par rapport à cette affaire comme à d’autres, la question qui se pose est quelle image ont-ils véhiculée de la classe politique, à quelques mois des échéances électorales?
Devant cette impuissance patente des partis à renouveler un contrat de confiance longtemps rompu, le spectre de l’abstention plane de nouveau dans nos cieux. Pour y faire face, les partis politiques ont encore évoqué un sujet de discorde, celui du vote obligatoire, après une toute dernière vaine tentative en septembre 2019. Début juin 2020, invité à participer à un séminaire organisé à distance par l’université Mohammed V à Rabat, l’ex-ministre de la Justice et membre du bureau politique du RNI (Rassemblement national des indépendants), Mohamed Aoujjar, a demandé à réfléchir sur l’hypothèse du vote obligatoire comme recours pour lutter contre l’abstention massive.
Cette hypothèse avait été défendue par l’Istiqlal et l’USFP à l’approche des communales de 2015, puis évoquée par des partis de la majorité à l’approche des législatives de 2016. Même aujourd’hui, la question demeure toujours d’actualité. Dans la Constitution de 2011, on lit «le vote est un droit personnel et un devoir national». Une expression qui consacre une obligation morale et non juridique.
Une obligation morale
Par ailleurs, la modification du calcul du quotient électoral a encore miroité la division entre partis de la majorité mais aussi la mobilisation de toutes les forces politiques en général pour une question qui décidera de leur avenir et non pas de celui de la population. S’ils se battent pour préserver leurs sièges au Parlement aux prochaines élections, ce qui est tout à fait honorable au regard du jeu démocratique, les partis politiques ne fournissent pas autant d’énergie pour séduire les électeurs durant les cinq ans de leur mandat au parlement ou au sein du gouvernement.
Ceci dit, le jour du scrutin, certains observateurs pensent qu’une implication accrue dans la vie politique et un vote massif est le seul moyen d’exiger une bonne gouvernance et la reddition des comptes. Ils pèseront de tout leur poids sur ces acteurs de la scène politique nationale qui vont se rendre à l’évidence que leurs électeurs veillent au grain par rapport à la gestion de la chose publique.
source : 17/03/2021
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